Dans l’univers dystopique de Krasinski, une seule menace prime : le bruit. Alors… silence [on tourne] !
La famille Abbott, rare survivante de ce monde apocalyptique, ajuste son mode de vie au silence pour se protéger des créatures qui menacent leur vie. Le sable étalé sur le sol rend leurs pas muets, le langage des signes tait leur voix et un système de signaux lumineux indique quand une urgence se présente. La vie presque primitive qu’ils mènent limite les sons qu’ils pourraient émettre. Le silence omniprésent est pourtant un bourdonnement constant, qui vient écraser le spectateur de suspense et d’inquiétude. Comment Evelyn (Emily Blunt) va-t-elle faire pour accoucher sans émettre un son ? Comment sa fille malentendante, Regan (Millicent Simmonds), pourra-t-elle se protéger seule ? Comment faire lorsque ces monstres – qui ressemblent étrangement aux Démogorgon de Stranger Things, et qui font aussi penser aux Sépulcreux de Miss Peregrine – s’infiltrent dans leur maison pour les tuer ? D’autant qu’on n’est jamais à l’abri d’un accident… bruyant.
Si le récit apparaît avant tout comme transgenre, mêlant thriller et science-fiction, il est aussi doté d’une réflexion critique sur notre société. Les péripéties empreintes de violence et de sang, l’univers diégétique désolant et vide et les émotions réprimées que les personnages ne peuvent exprimer semblent faire écho à notre monde schizophrène. Comprenez un monde en évolution qui apparaît comme hésitant sur le positionnement à adopter quant à certains sujets. Si nous pouvons, en effet, tout voir dans les journaux télévisés ou dans les films, nous ne pouvons pas toujours exprimer notre pensée de manière aussi limpide que ce qui nous est donné à voir. Si nous avons évolué, les tabous demeurent, auréolés d’un flou déroutant ou d’une prévention parfois dérisoire, si on considère la manière dont certains événements choquants, dramatiques ou bouleversants se retrouvent banalisés et donnés sans médiation… A quiet place semble donc dénoncer implicitement ce silence qui nous est parfois imposé inconsciemment. Le fait que la temporalité du récit soit 2020 pose une question : vers quel monde allons-nous ? Les créatures très sensibles au son apparaissent comme le symbole de l’hypersollicitation dans laquelle nous évoluons au quotidien : réseaux sociaux et télévision envahissent quotidiennement notre intimité. Où s’arrête la frontière et jusqu’où sommes-nous maîtres ?
Le récit aborde également les rôles sexuels car autant les membres masculins que les membres féminins de la famille Abbott participent à la survie. Sur fond d’entraide, de solidarité, d’amour et de pardon, ils affrontent avec courage et ingéniosité des situations leur demandant de dépasser la mort, la culpabilité, le regret et la tristesse. Au départ le père est le protecteur de la famille. Son fils, Marcus (Noah Jupe) est présenté comme celui qui lui succédera, celui qui s’occupera de sa mère lorsqu’elle sera vieille, celui qui doit apprendre à être débrouillard pour subvenir aux besoins des siens. Sa fille, Regan, est reléguée au second plan lorsqu’elle montre sa volonté de participer aux missions de survie. La raison ? C’est trop dangereux. La fin de l’histoire présente un retournement de ces rôles : mère et fille bataillent ensemble contre les monstres.
Le film de Krasinski est donc un wake-up call de plus qui vient s’ajouter à la série de films dystopiques, réalisés depuis quelques années. Si l’histoire apparaît comme faisant partie d’un « déjà-vu », l’alternance qui se construit entre silence et musique et entre suspense et émotions vibrantes justifient sa vision. Tout comme le décor de la campagne perdue où vivent les Abbott, qui s’oppose à la traditionnelle ville en ruines qu’on ne se lasse pas de voir lorsqu’on apprécie ce genre d’ambiance.